Claudia Goldin : trois leçons à tirer des travaux de la dernière prix Nobel d’économie

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"Claudia Goldin, professeure à Harvard, a reçu le 9 octobre le prix Nobel d'économie "pour avoir fait progresser notre compréhension de la situation des femmes sur le marché du travail". Elle n'est que la troisième femme à recevoir le prix depuis sa création en 1969 et la première à ne pas le partager.

Claudia Goldin a commencé sa carrière universitaire dans les années 1970, en tant qu'historienne de l'économie. À l'université de Chicago, elle consacre sa thèse de doctorat à l'esclavage aux États-Unis. Ses travaux ultérieurs sur les débuts de l'industrialisation l'ont amenée à souligner l'importance économique du travail des femmes et des enfants au cours du 19e siècle. Ce fut la première étape d'une carrière pionnière visant à mesurer et comprendre les écarts entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de rémunération.

Les premières contributions de Goldin ont marqué une rupture avec les débats très politisés des années 1980 sur le genre. Elle utilise alors les outils employés par les historiens de l'économie et les économistes du travail pour documenter soigneusement les tendances et analyser les causes des résultats observés en matière d'emploi, de promotion et de salaires des femmes. Son approche a toujours été d’abord de mesurer les inégalités femmes-hommes. Aujourd’hui, nous avons connaissance de la dynamique de ces inégalités en grande partie grâce au travail de Goldin.

Ses questionnements ont évolué au fil du temps. Ses premiers travaux ont porté sur la dynamique de l'emploi des hommes et des femmes et montraient comment l'industrialisation des États-Unis a entraîné un déclin de l'emploi féminin avant de se redynamiser après la Seconde Guerre mondiale. Elle soulignait l'importance des écarts en matière d'éducation (Understanding the Gender Gap : An Economic History of American Women, 1990, et "The Role of World War II in the Rise of Women's Employment", 1991).

Dans l'un de ses articles les plus cités, "Orchestrating Impartiality : The Effect of 'Blind' Auditions on Female Musicians" co-écrit avec Cecilia Rouse (2000) elle relève le défi d'identifier la discrimination. La plupart des travaux existants utilisaient des données provenant d'enquêtes sur la main-d'œuvre pour "mesurer la discrimination" : les salaires des hommes et des femmes étaient analysés en fonction d’un ensemble de caractéristiques individuelles, telles que l'âge, l'éducation et le secteur d'activité, et les différences de salaires qui ne pouvaient être attribuées à des différences de caractéristiques étaient considérées comme dues à la discrimination. Pourtant, selon les critiques, de telles différences pourraient simplement résulter du fait que les données ne saisissent pas de manière suffisamment précise les caractéristiques des travailleurs. Dans leur étude fondamentale, Goldin et Rouse examinent les auditions des meilleurs orchestres de musique classique aux États-Unis et comparent ceux qui ont placé les candidats derrière un écran - afin que le jury ne sache pas s'il s'agit d'hommes ou de femmes - et ceux qui ne l'ont pas fait. Le fait que les premiers recrutent plus de femmes que les seconds est considéré comme une mesure directe de l'ampleur de la discrimination.

Claudia Goldin n'a jamais cessé d'essayer de comprendre les écarts entre les hommes et les femmes. Dans son article de 2014 intitulé "A grand gender convergence : Its last chapter", elle reconnaît les progrès réalisés au cours de la seconde moitié du XXe siècle, notamment grâce à l'amélioration du niveau d'éducation. Cependant, comme l'écart de rémunération ne s'est pas totalement résorbé, elle s'est concentrée sur les autres aspects qui comptent et a pointé du doigt des aspects jusqu'à présent peu discutés. Elle affirme notamment qu'après des changements dans la politique et dans les normes des ménages, la structure des emplois devrait être mise au premier plan. La récompense disproportionnée des travailleurs hautement qualifiés qui sont prêts à travailler de longues heures et des heures atypiques est, selon Goldin, l'un des aspects clés qui expliquent la persistance des différences de revenus entre les hommes et les femmes.

Dans son essai biographique intitulé "The Economist as Detective", dans Passion and Craft : Economists at Work, édité par Michael Szenberg, elle affirme qu'elle a toujours voulu être détective. En tant qu'économiste universitaire et en tant que femme, je suis reconnaissante à Claudia Goldin d'avoir, au cours de sa longue carrière, continué à chercher le coupable des écarts entre les hommes et les femmes sur les marchés du travail. "

Cecilia García-Peñalosa, Marseille, le 9 octobre 2023