L’économiste Gilles Dufrénot constate, dans une tribune au « Monde », édition du 27 juin, que le sommet de Paris a évité d’aborder les questions les plus embarrassantes pour le continent africain.
Les 22 et 23 juin s’est tenu à Paris le sommet pour un nouveau pacte financier mondial réunissant un grand nombre de dirigeants de la planète afin de réfléchir à une réforme du financement international du développement. Les enjeux pour les pays d’Afrique ont été évoqués, parmi lesquels la résilience face aux crises mondiales, le financement de la transition écologique, ou encore des pistes pour enrayer un surendettement non soutenable pour les pays les plus pauvres.
Mais, alors que l’attention s’est focalisée sur la recherche de nouvelles sources de financement pérennes, plusieurs questions embarrassantes ont été passées sous silence. Un premier sujet porte sur la définition de nouvelles règles multilatérales et une architecture financière internationale qui permettraient aux pays d’Afrique de mieux valoriser leurs ressources naturelles.
La transition énergétique et la numérisation des économies des pays industrialisés et en développement reposent sur des minerais et des métaux devenus stratégiques, voire critiques, dont regorge le sous-sol de certains pays africains. Ils serviront à fabriquer les technologies bas carbone et à façonner les économies numériques des prochaines décennies.
Indispensable annulation des dettes bilatérales
Au vu de la forte demande mondiale, la valeur de marché de ces ressources est sans doute très au-dessus des prix auxquels les pays africains les exportent – à des prix négociés bilatéralement – vers les nations qui sont entrées dans la guerre des métaux stratégiques, au premier rang desquels la Chine – devenue par ailleurs le premier créancier bilatéral des pays africains.
Or des prix bradés pour des ressources rares alimentent le cercle vicieux du surendettement. Un deuxième sujet embarrassant pour les pays industrialisés est celui de l’effacement des dettes. Jusqu’ici, les allégements – bien qu’importants en volume – n’ont pas fondamentalement modifié les trajectoires de non-soutenabilité des dettes publiques des pays africains, sauf pour quelques-uns déjà en crise qui ont pu bénéficier de réaménagements dans le cadre du Club de Paris.
Avec l’ampleur des montants nécessaires à la mise en œuvre des politiques de résilience au changement climatique – environ 2 700 milliards de dollars d’ici à 2030, selon le président de la Banque africaine de développement –, une annulation complète des dettes bilatérales paraît inévitable : une nouvelle initiative des pays pauvres très endettés (PPTE) qui ciblerait cette fois-ci la transition écologique des pays pauvres.
Pour l’Afrique le coût de la transition est plus important
Quelques initiatives, encore rares, commencent à se dessiner dans le secteur privé où des banques ont converti une partie de la dette commerciale de Belize, de l’Equateur et des Seychelles en investissements écologiques. Liée à cette question, la problématique de la dette climatique des pays industrialisés envers les pays en développement doit pouvoir être abordée sereinement en se fondant sur des instruments de mesure scientifiques et opérationnels.
Troisièmement, un sujet brûlant à très court terme concerne les coûts élevés de la transition écologique pour les économies en développement, en particulier l’Afrique. Le rapport Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz montre que les coûts d’une telle transition ne sont pas négligeables pour un pays riche comme la France.
A fortiori, selon toute vraisemblance, ces coûts seront démultipliés pour les pays africains, qui vont devoir transformer en profondeur des systèmes productifs qui n’ont même pas encore permis d’atteindre des taux de croissance potentiels compatibles avec la réalisation des objectifs de développement durable.
Les dommages de l’insécurité géopolitique en Afrique
Les enjeux ne sont pas seulement économiques, mais sociétaux. S’ils devaient aggraver – même temporairement – la pauvreté, ces coûts déséquilibreront les flux migratoires au sein du continent et perturberont les équilibres sociopolitiques. Cela amplifierait les dommages causés par l’insécurité géopolitique actuellement aiguë sur le continent.
Les coûts exorbitants à court terme pour les pays africains des mutations induites par les politiques de lutte contre le changement climatique ne doivent pas être sous-estimés par la communauté internationale. La question est de savoir si les pays industrialisés, qui ont bâti leur richesse sur les énergies carbonées, accepteront des modalités de transition vers un monde plus vert selon une trajectoire spécifique et un rythme différencié pour les pays africains.
On pourrait ainsi imaginer que la vitesse d’ajustement soit proportionnelle au stock de pollution produit par les pays au cours des vingt dernières années. Croire que l’on peut mener de front la lutte contre la pauvreté et contre le réchauffement climatique, équivaut à raisonner sur le long terme. A très court terme, verdir les économies des pays pauvres impliquera des coûts irrécupérables élevés.
Pas de tabou sur l’industrie de la défense
Enfin, le sujet le plus tabou concerne les fonds que les bailleurs bilatéraux et multilatéraux pourraient mobiliser pour soutenir les initiatives menées par les Etats pour construire des systèmes de défense et de sécurité nationale résilients aux menaces géopolitiques.
Aucun développement, aucun verdissement des économies ne réussira sur des territoires en proie à l’insécurité provoquée par l’extension du djihadisme, des milices et des groupes criminels. C’est aujourd’hui l’une des priorités, tout autant que les questions de lutte contre la pauvreté et le réchauffement climatique.
Poser la question des financements à mobiliser pour aider les pays africains à développer une industrie de la défense ne doit pas être un sujet tabou au motif qu’il s’agit de pays pauvres dont la défense devrait être continuellement assurée par des pays émergents ou riches.
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Gilles Dufrénot, Enseignant-Chercheur Sciences Po Aix et AMSE





