Les guérisseurs ont bon dos

Presse
Une tribune de Daniel Ventosa-Santaulària (CIDE) professeur invité à Aix-Marseille School of Economics dans La Provence.
04 décembre 2025

Une tribune de Daniel Ventosa-Santaulària publiée dans le journal La Provence, édition du 30/11/2025. 

Daniel Ventosa-Santaulària est chercheur au Mexique (CIDE). Il est professeur invité à Aix-Marseille School of Economics pour l’année 2025-2026.  

Les guérisseurs ont bon dos

Un trompe-l’œil de la raison — ou comment la régression vers la moyenne déguise le hasard en miracle.

Il arrive qu’un mal de dos disparaisse juste après une visite chez le guérisseur du quartier, qu’un lycéen s’améliore dès qu’on le gronde, ou qu’un investisseur retrouve enfin la veine après avoir troqué ses actions EDF contre du LVMH. Chacun y voit la preuve d’un remède, d’une autorité ou d’un génie. Pourtant, bien souvent, ce n’est qu’un simple tour de passe-passe statistique : la régression vers la moyenne.

Décrite au XIXᵉ siècle par Francis Galton, elle est née d’une observation aussi banale que décisive : en étudiant la taille de centaines de parents et de leurs enfants, Galton constata que les très grands parents avaient, en moyenne, des enfants un peu plus petits, tandis que les très petits en avaient un peu plus grands. Les extrêmes, autrement dit, avaient tendance à “revenir” vers la moyenne. Cette découverte, qu’il baptisa regression toward mediocrity, rappelait une évidence que notre cerveau déteste : les records, les catastrophes et les coups de chance sont rarement durables. Après un coup d’éclat vient souvent un revers ; après une chute, une embellie. Les performances, les douleurs, les rendements — tout ce qui fluctue — finit, tôt ou tard, par se rapprocher de son niveau habituel.

Mais nous, pauvres mortels en quête de sens, préférons imaginer des causes. Si la douleur disparaît, c’est grâce au guérisseur ; si la note monte, c’est parce que le professeur a grondé ; si la Bourse rebondit, c’est le génie de notre flair. Bref, nous voyons de la causalité là où il n’y a que hasard et variation naturelle.

La régression vers la moyenne n’est pas une punition, c’est un rappel à l’humilité. Elle explique pourquoi les meilleurs élèves d’aujourd’hui ne le seront pas forcément demain, pourquoi certains ministres, prompts à s’attribuer le mérite d’avoir “inversé la courbe”, devraient peut-être remercier, eux aussi, les lois de la statistique. Si nous avions un réflexe de statisticien, nous éviterions bien des illusions : nous saurions que ce n’est pas le chat noir du voisin qui provoque nos déboires (même si la tentation de le croire est grande), ni la danse de la pluie qui amène l’orage, mais le monde qui revient à son équilibre. Et les guérisseurs, eux, ont bon dos — la douleur finit toujours par passer.

La même logique vaut pour nos enthousiasmes collectifs. Quand les marchés se calment, on félicite le ministre ; quand la monnaie s’apprécie, c’est la victoire du banquier central ; quand une équipe retrouve la victoire, c’est le coaching “miracle”. Nous sommes prompts à célébrer les hauts et à accuser les bas, oubliant que bien des trajectoires — économiques, sportives ou politiques — ne font que respirer autour de leur moyenne. Mais la science statistique a aussi un autre mérite : elle nous apprend à reconnaître quand le hasard n’y est plus pour rien. C’est tout le sens des essais cliniques, où l’on compare des groupes tirés au sort pour distinguer la vraie efficacité d’un traitement de la simple oscillation du destin. Sans cette rigueur, on confondrait encore les remèdes réels avec les miracles apparents.

Reconnaître la régression vers la moyenne, c’est accepter que le hasard n’a pas toujours besoin de forces occultes pour ramener l’équilibre, mais aussi savoir quand une cause véritable agit. Et c’est, peut-être, la plus belle leçon que les chiffres puissent offrir : le hasard a meilleur goût quand on sait qu’il est innocent — et que la raison, parfois, lui donne tort.

 

 

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