"L’impact économique de la crise Covid-19 risque de faire encore plus de victimes que le virus lui-même dans les pays méditerranéens"

Interview
Mohammad Abu-Zaineh (AMU/AMSE), enseignant-chercheur en économie de la santé, analyse, dans une interview au média Econostrum.info, la crise liée à la pandémie dans les pays de la rive sud de la Méditerranée.
02 avril 2020

Mohammad Abu-Zaineh (AMU/AMSE), enseignant-chercheur en économie de la santé, analyse, dans une interview menée par le média Econostrum.info, la crise liée à la pandémie dans les pays de la rive sud de la Méditerranée. Selon lui, leurs systèmes de santé ne sont pas armés pour l'affronter et les conséquences seront autant financières que sanitaires.

Interview à lire en intégralité sur le site www.econostrum.info

 

" econostrum.info : Quelle analyse portez-vous sur la gestion de cette crise dans les pays méditerranéens ? Les pays de la rive sud n’ont pas le même niveau de protection sociale que ceux de la rive nord. Faut-il craindre le pire ?

Mohammad Abu-Zaineh : Oui, absolument, nous craignons le pire, car les pays méditerranéens ont un système de santé vulnérable. Il n’est pas assez robuste pour faire face à l’éventuelle propagation du virus du Covid-19. Les différents travaux d’analyses du système de santé dans les pays méditerranéens ont permis d’identifier un nombre important de dysfonctionnements dont les principaux sont : Une part relativement faible (comparée à celle allouée par les pays occidentaux) du PIB consacrée à la santé (autour de 5 % contre 12 % en Europe), et une part relativement faible de prise en charge publique des dépenses de santé qui reste inférieure à 9% des dépenses publiques générales (contre 17 % en Europe), même dans les pays riches (du Golfe).

Ces pays sont aussi caractérisés par une part très importante du financement de la dépense de santé assurée par les ménages (elle dépasse 45 % contre 12 % dans les pays de l’OCDE) ainsi qu’un recours croissant à la médecine privée, plus chère et peu remboursée. La part du financement des assurances publiques (sécurité sociale) de la dépense totale de santé (DTS) reste inférieure à 20% (ex : Liban 17% ; Algérie 12% ; Égypte 9%). C’est aussi le cas des assurances privées, dont la part du financement de la DTS reste inférieure à 10% (à l’exception du Liban 20%). Ceci indique que les mécanismes de mutualisation du risque maladie sont toujours faibles (9.5% au Bahreïn ; 0.9% en Égypte).

Déficit en personnel médical et paramédical

Quid de la couverture universelle et de l'égalité des soins ?

M.A-Z. : Quel que soit le mode de prise en charge adopté, ces pays ne sont toujours pas parvenu à réaliser de véritables progrès en vue de la couverture sanitaire universelle en terme de population couverte (21% en Égypte ; 28% en Jordanie, 53% au Liban). Même si certains pays comme la Tunisie en ont fait (avec un taux de couverture de jure de la population de 85%), le taux de couverture des services de soins reste relativement faible (moins de 60% des coûts de services de soins en Tunisie).

Par conséquent, la question des inégalités dans l’accès aux soins demeure un problème récurrent pour les pays de la zone MENA qui souffrent d’une offre insuffisante : déficit en personnel médical et paramédical, prépondérance des spécialistes au détriment des médecins généralistes, réanimateurs et du personnel infirmier, pénurie des masques et des équipements de protection individuelle. L’approvisionnement du matériel s'avère aussi problématique dans beaucoup de ces pays.

Les hôpitaux sont souvent inégalement implantés (concentration en milieu urbain et dans les zones côtières des pays). Le secteur privé, qui s’est très rapidement développé depuis quelques années, demeure faiblement régulé et ne s’inscrit pas dans le projet de développement sanitaire national. Enfin, les systèmes de santé de ces pays se caractérisent par la tendance à une utilisation accrue de l’hôpital (l’hospitalo-centrisme), et l’insuffisance de la déconcentration administrative, avec une multitude d’acteurs, et l’insuffisance de la participation des organisations professionnelles et des usagers à l’élaboration de la politique de santé, son suivi et son évaluation.

Tout cela démontre bien l’incapacité des systèmes de santé à gérer cette pandémie qui se propagera assez vite et laissera plusieurs morts derrière.

Un nouveau paradigme peut émerger

Quelles sont les conséquences à venir de cette pandémie en Méditerranée ?

M.A-Z. : Vue l’incapacité des systèmes de santé actuels, une éventuelle propagation rapide du virus Covid-19 aurait sans doute des conséquences catastrophiques allant au-delà du nombre de victimes par le virus lui-même. En effet, comme déjà souligné par l'UNCTAD (NDLR : Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), l’impact économique de la crise Covid-19 risque de faire encore plus de victimes que le virus lui-même. D’où l’importance pour les gouvernements de ces pays de prendre des mesures rapides et collectives, afin de protéger économiquement les personnes les plus vulnérables. Des plans de protections financières contre l’impact catastrophique et appauvrissant de cette pandémie sont à prendre en toute urgence.

Pensez-vous que nous allons vers un changement radical de paradigme ?

M.A-Z. : Cette pandémie aura aussi un impact sur le paradigme actuel qui est incapable de gérer une telle crise sanitaire. Cette pandémie vient confirmer que le souci de solidarité, d’équité dans l’accès aux soins ainsi que la protection sociale et financière en matière de santé sont des conditions d’efficacité des systèmes de santé et des facteurs majeurs dans le développement humain. Ainsi, un nouveau paradigme peut émerger suite à cette crise inédite. Celui-ci sera fondu sur les valeurs de la solidarité, de l’équité, de la participation et de la responsabilité aussi bien des prestataires de service que des pouvoirs publics et des citoyens.

Un impact économique catastrophique

Sommes-nous aujourd’hui dans un scénario catastrophe : crise sanitaire, économique et financière ?

M.A-Z. : La probabilité d’un scénario catastrophe est malheureusement élevée. La crise sanitaire se transformera assez rapidement en crise économique et financière. Les pays méditerranéens doivent rester en alerte quant au poids des maladies transmissibles qui perdurent sous forme de flambées épidémiques en plus de la présence des maladies chroniques (diabète, cancer, dépression, pathologies professionnelles, maladies respiratoires, maladies dégénératives et traumatologiques... impliquant des soins de plus en plus coûteux). Cela représente un double fardeau impliquant une double charge financière et une réorganisation des politiques publiques.

Même s’il est difficile de prédire à ce stade l'impact économique du coronavirus (comme affirmé par le FMI), les mesures strictes qui ont été prises par les gouvernements pour faire reculer cette pandémie (confinement des populations, restrictions de mouvements allant jusqu’à imposer des couvre-feux dans certains pays en Méditerranée comme en Jordanie) auront un impact économique catastrophique. Surtout que beaucoup de ces pays ne disposent pas encore des moyens pour mettre en place un système de télétravail, comme c’est le cas dans les pays de la rive nord. " 

 

Interview à lire en intégralité sur le site www.econostrum.info

 

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