"La strangulation prolongée de l’activité économique n’est pas une solution viable"

Tribune
Dans une tribune au journal Le Monde le 21 mars 2020, Alain Trannoy (EHESS, AMSE) prévoit un déficit public de 4,6 points de PIB en France et alerte sur le fait que la strangulation prolongée de l’activité économique ne peut pas être une solution viable.
21 mars 2020

Dans une tribune au journal Le Monde le 21 mars 2020, Alain Trannoy (EHESS, AMSE) prévoit un déficit public qui devrait atteindre 4,6 points de PIB en France et alerte sur le fait que la strangulation prolongée de l’activité économique ne peut pas être une solution viable. 

 

« Nous n’avons pas eu le choix de livrer bataille dans cette guerre contre le virus. Mais nous avons encore le choix des armes qui peut avoir un impact considérable sur le coût économique de la lutte contre cette pandémie. La strangulation de l’économie sur une courte période est une réponse au défi épidémiologique qui a du sens et reste encore supportable pour les finances publiques de notre pays. L’Etat va jouer le rôle du prêteur en dernier ressort pour l’ensemble de l’économie.

 

Si, cette stratégie peut être actionnée pour une courte période, au-delà, on rentrera dans une terra incognita potentiellement très dangereuse pour la stabilité de notre système économique. L’argent ne tombe pas de nulle part. La France peut continuer à s’endetter à bas coût pour un certain temps. Mais, la capacité des marchés financiers à nous faire confiance dans le contexte actuel, les yeux fermés, risque de s’évanouir très vite, quel que soit le soutien de la Banque centrale européenne (BCE).

 

La strangulation de courte durée de l’économie a du sens pour gagner du temps sur deux plans. D’une part, pour casser la montée très rapide de l’épidémie qui menaçait de déborder notre système hospitalier et d’entraîner des décès simplement par incapacité de prise en charge médicale, comme c’est le cas dans certaines zones du nord de l’Italie. D’autre part, pour trouver un traitement raisonnablement efficace contre le coronavirus. Cette seconde raison n’est pas suffisamment explicitée aux Français.

De l’importance du confinement

 

Un confinement qui fonctionnerait à 100 % pendant une durée égale à la période de contagion d’une personne infectée permettrait d’enrayer totalement l’épidémie sur le territoire national. Les dernières révélations de la recherche médicale indiquent que la charge virale du Covid-19 demeure pendant trois semaines chez l’individu détecté positif. Au bout d’un confinement strict de trois semaines, le nombre de personnes nouvellement atteintes du covid-19 devrait être très réduit mais pas nul.

 

Du fait qu’un confinement ne marche jamais à 100 %, et qu’on ne peut espérer que toute la population française soit immunisée, en raison justement de la distanciation sociale opérée grâce au confinement. La bonne question est donc de savoir que faire ensuite. Le confinement n’a été envisagé comme une solution de secours qu’en raison de l’absence de traitement à proprement dit pour enrayer la montée de la charge virale du coronavirus chez un patient.

 

Aujourd’hui, la médecine ne fait qu’aider le patient à contrer les effets du coronavirus sur l’organisme. Ces trois semaines de confinement doivent être mises à profit pour trouver une stratégie post-confinement pour traiter les nouveaux cas de coronavirus et les cas encore pendants. Elle devra être basée sur un traitement curatif qui ne sera pas encore un vaccin.

 

On ne part pas de rien, la Chine a déjà une expérience en ce domaine, les travaux expérimentaux se multiplient et des espoirs d’une solution à grande échelle et relativement à bas coût se dessinent, comme la stratégie de traitement préconisée par le professeur Didier Raoult, directeur de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille.

 

Une baisse du PIB

 

Le coût d’une strangulation de l’économie nationale, disons pour un mois, peut-être chiffré en comparaison de la réduction de l’activité au cours du mois d’août qui voit une bonne partie de l’activité économique s’arrêter. En effet, c’est comme si on avait dit aux Français, prenez trois semaines de congés qui vont vous être payés sous forme d’indemnités de chômage ou de chômage partiel.

 

Si l’INSEE ne calcule pas de PIB mensuel, il livre des données de PIB trimestriel qui est en moyenne en retrait de 4 % pour le troisième trimestre par rapport aux PIB des trois autres trimestres. Réparti sur l’année, cela correspond à une baisse de PIB de 1,3 % par rapport à l’année précédente, en faisant l’hypothèse que l’activité des autres trimestres soit identique à celle du dernier trimestre de l’année 2019.

 

En réalité, cette comparaison est faussée du fait, qu’à la différence d’un mois d’août normal, le chiffre d’affaires et donc la valeur ajoutée de la branche commerce, transport, hébergement et restauration va être réduit à sa plus simple expression. Cela rajoute grosso modo une perte de 1,2 point de PIB portant la baisse du PIB à 2,5 %, au lieu d’une hausse du PIB prévue à 1,3 % en loi de finances.

 

Situation très hétérogène entre le Nord et le Sud de l’Europe

 

En calculant la perte de recettes publiques à laquelle s’ajoute le supplément de dépenses publiques, celles également de santé, d’indemnité chômage et d’aides diverses aux entreprises, qui se chiffrent certainement au moins à 0,5 point de PIB, on obtient un déficit public estimé au plus juste à 4,6 points de PIB, au-delà des prévisions officielles à 3,9.

 

Au total, la France devra emprunter 60 milliards d’euros de plus sur les marchés. Le coût économique d’un second mois de confinement, le mois d’avril sera beaucoup plus considérable en raison de l’amplification de la contraction de l’économie.

 

Comme chaque pays européen procède de la même façon, on aboutit à une extrême sollicitation des investisseurs du monde entier pour acheter des dettes des pays européens. Or, la zone euro présente une faille de ce côté-là, en raison de la situation très hétérogène entre le Nord et le Sud de l’Europe.

 

La bonne décision de la BCE

 

La dette publique italienne atteint déjà 135 % de points de PIB et n’est certainement pas soutenable à l’heure actuelle. Si un blocage complet des économies persiste sur deux mois, c’est l’ensemble des dettes des trois grands pays latins qui sera attaqué à terme avec un écart de taux qui se creusera avec le taux d’intérêt de la dette allemande.

 

Le rachat de 750 milliards d’euros d’obligations de la part de la BCE est une excellente mesure, il règle momentanément le problème du financement des dettes publiques dans la zone Euro. La politique du « quoi qu’il en coûte » laisse penser que l’Etat français peut emprunter sur les marchés autant qu’il veut.

L’échelle des chiffres présentés indique nettement que ce freinage volontaire de l’économie ne peut être poursuivi sans danger au-delà d’un mois. L’Allemagne peut se le permettre, pas la France. La politique sanitaire doit s’infléchir nettement à l’issue de cette période de trois semaines de confinement et tirer parti du moindre progrès scientifique sur le traitement curatif du Covid-19 pour rendre soutenable économiquement notre lutte collective contre ce fléau."

 

→ Lire la tribune sur le site lemonde.fr ou dans l'édition papier du samedi 21 mars 2020. 

 

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