"Une passion française : la taxation des ultrariches"

Tribune
Une proposition de chronique d'Alain Trannoy (EHESS/AMSE) reprise par le journal Les Echos.
21 juin 2023

Une proposition de chronique d'Alain Trannoy (EHESS/AMSE) reprise par le journal Les Echos dans l'édition du mercredi 21 juin 2023

 

"Nous sommes à Paris depuis un mois et nous avons toujours été dans un mouvement continuel." C'est ainsi que Montesquieu décrit dans les Lettres persanes, l'arrivée  d'Usbek à Paris. Que raconterait-il aujourd'hui à son ami Rica resté au pays ?

Quel est le grand sujet à Paris ?

La taxation des ultrariches.

Sont-ils plus nombreux ?

A Paris, on ne raisonne pas de la sorte. On ne compte pas les plus riches. On raisonne toujours en proportion, les 1% plus riches, les 0,1%, les 0,01%, etc., jusqu’aux derniers 0,0002% qui représentent les 75 foyers fiscaux les plus riches.

Alors leur part de la richesse a dû augmenter ?

Selon le World Inequality Data Lab, la part du top 1% dans le patrimoine était de 26,2% en 1968, de 29,3% en 2000 et de 26,8% en 2001. Cela fluctue, mais sans aucune tendance nette, à l’opposé des Etats-Unis où la part du top 1% est passée de 28,9% à 34,9% sur la même période.  

Alors ils ne doivent pas payer leurs impôts ?

Une étude indiscutable de l'Institut des politiques publiques (IPP) apporte des utiles précisions à ce sujet. A partir des données fiscales exhaustives, ils établissent que les 75 plus riches contribuables acquittent un montant moyen de 36,8% de leur revenu imposable, tout impôt direct confondu. A partir du top 0,01%, le taux moyen d’imposition régresse légèrement.

Mais cette étude porte sur l’année 2016 avant l’instauration de la flat tax sur les revenus financiers en 2018 à 30% ? Le taux d’impôt des ultrariches doit être encore plus faible maintenant ?

En fait pas forcément. Quand François Hollande a décidé de revenir sur la mesure prise par Nicolas Sarkozy d’instaurer une flat tax sur les dividendes pour les réimposer au barème de l’IR, ceux-ci ont baissé de plus de 10 milliards d’€. Les entreprises ont choisi d’en distribuer moins à leurs actionnaires, afin qu’ils échappent à leur imposition en gonflant les profits non distribués. Or l’étude porte sur l’année 2016 où ce phénomène était encore présent. A l’inverse, les dividendes ont augmenté de 10 milliards d’€ en 2018. De fait, la base taxée en 2018 a augmenté par rapport à 2016. Et n’oublions pas une chose, si on cumule IS et la flat taxe, le taux cumulé sur les dividendes, qui constitue l’essentiel des revenus des milliardaires, est de 47,5%.

Ils fraudent peut-être plus que dans d’autres pays ?

Selon une étude de 2019 de Gabriel Zucman, les français ultrariches détiennent 140 milliards d’€ d’avoir dans des paradis fiscaux. Cela représente 15% du PIB, soit 3% de la richesse nationale, comme en Angleterre et en Allemagne. 

D’où vient leur richesse ?

La proportion des milliardaires français qui doivent leur richesse à l’héritage serait de l’ordre de 80%, selon le Financial Times, une proportion plus élevée que chez nos voisins. D’où la pertinence d’un impôt sur les successions progressif.

Ils doivent polluer plus que les autres ?

Exact ! D’après une étude du World Inequality date lab, les 10% les plus aisés ont un niveau d’émission de gaz à effet de serre de deux à huit fois plus élevé que la moitié de la population la plus pauvre.

Cela pourrait être facilement corrigé par l’institution d’une taxe carbone ?

A Paris, il est devenu tabou de parler de taxe carbone depuis le mouvement des gilets jaunes. Seuls les économistes en discutent encore entre eux mais sans aucune influence sur le cours de la politique publique.

Mais au-delà, la grande question n’est-elle pas de savoir si les ultrariches contribuent au financement de la transition écologique à la hauteur de leurs moyens et sinon pourquoi ?

Contact 

Alain Trannoy est directeur d'études à l'EHESS et membre AMSE 

Articles précédents

  • Presse

En Espagne, la politique économique a été propice et a bénéficié de circonstances favorables

Une tribune de Cecilia García Peñalosa (CNRS, EHESS, AMSE) et Alain Trannoy (EHESS, AMSE) publiée dans le journal Le Monde.
22 décembre 2025
  • Dialogues économiques

Le juste prix du CO₂

Un triste record a été battu en 2024 : celui de l’année la plus chaude jamais enregistrée sur terre. Signes tangibles du basculement en cours, le réchauffement climatique se traduit sous nos yeux par une accélération d’événements naturels extrêmes. En théorie, la solution est simple : arrêter immédiatement l’emploi d’énergies fossiles. En pratique, l’abandon de ces énergies omniprésentes dans nos sociétés contemporaines est une gageure. Pour réduire les émissions de CO₂, les économistes, rompus à l’analyse coût-avantage, peuvent aider les décideurs à concevoir des politiques à la fois efficaces et acceptables par les populations.
10 décembre 2025
  • Presse

Les guérisseurs ont bon dos

Une tribune de Daniel Ventosa-Santaulària (CIDE) professeur invité à Aix-Marseille School of Economics dans La Provence.
04 décembre 2025