Le projet Épidémiologie économique du Covid-19 (ECOVID-19) soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche (Flash-Covid19)

Expertise
Une équipe de chercheurs en économie propose une analyse comparative coût-efficacité des politiques publiques durant l'épidémie de Covid-19 en France.
11 avril 2020

La pandémie COVID-19 est incontestatblement un drame humain mais le virus a également frappé de plein fouet la société, perturbant les déplacements, fermant les usines et secouant les marchés économiques. Les mesures de politiques publiques sont sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

 

Une équipe de chercheurs en économie, rassemblant Raouf Boucekkine (AMU/AMSE) Josselin Thuilliez ( CNRS/ Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), Jérôme Adda (Université de Bocconi) - experts en économie de la santé, en économie des épidémies et en économie comportementale propose une analyse comparative coût-efficacité des politiques publiques durant l'épidémie de Covid-19 en France. 

Comment les épidémies affectent-elles l'activité économique ?

 

Les virus imposent un coût à la société, par des décès prématurés, une morbidité de longue durée, une utilisation accrue des structures de santé et l’absence de scolarité ou la perte d'heures de travail. Les épidémies peuvent avoir des conséquences différentes sur l'activité économique. Tout d'abord, pour des raisons de santé évidentes, l'activité des travailleurs est limitée pendant l'épidémie, d'autant plus si la population en âge de travailler est plus touchée. Deuxièmement, un effet plus pernicieux sur les croyances amènera les acteurs à anticiper ou à reporter certaines décisions économiques. La consommation de produits de base peut être accélérée, mais les décisions d'investissement seront reportées. Troisièmement, des effets à long terme peuvent apparaître plusieurs décennies plus tard, tels que les effets sur l'accumulation de capital humain. Enfin, la crise économique générée par la crise sanitaire peut, à son tour, avoir des effets sur la santé, d'autant plus si les politiques sociales ne sont pas bien développées dans un pays.

 

Inversement, l'activité économique et les politiques publiques peuvent avoir plusieurs conséquences sur la propagation des maladies. Tout d'abord, les mesures de politiques publiques telles que les fermetures d'écoles, les quarantaines ou les limitations de transport ralentiront l'activité économique, mais visent à réduire le coût des épidémies. Deuxièmement, les politiques publiques peuvent également générer des incitations perverses qui doivent être évaluées. D'un point de vue macroéconomique, l'activité économique (mesurée par exemple par le chômage) peut avoir des effets ambigus.

 

Quelle est la stratégie la plus rentable ?

 

Il est important pour la population, les décideurs politiques, les services de santé publique d'évaluer la gestion de la crise. Les différents pays touchés n'ont pas adopté les mêmes stratégies. Les stratégies de la Corée et du Japon, par exemple, ont été très différentes de celles de l'Italie, de l'Espagne ou de la France. Certaines semblent plus efficaces que d'autres, mais il est difficile d'apporter une réponse solide à cette question.

Le projet ECOVID-19 comparera les stratégies - combinées à la dynamique de l'épidémie - afin de fournir des arguments fondés sur des preuves pour la stratégie la plus rentable dans les perspectives de l'épidémiologie économique.

 

Renforcer notre préparation aux futures épidémies

 

L'objectif principal d'ECOVID-19 est de fournir une analyse comparative du rapport coût-efficacité des politiques publiques entreprises pendant l'épidémie de Covid-19 en France, en analysant les conditions d'efficacité et les conditions réelles de mise en œuvre des actions d'information, de prévention, de soins et de contrôle, en fournissant une évaluation et une modélisation des mesures de prévention et de contrôle.

Le projet permettra notamment de répondre à ces questions :

- Les mesures de confinement sont-elles plus rentables que les tests ou les méthodes de prévention telles que les rappels de bonnes pratiques ? Le moment de l'intervention a-t-il de l'importance ?

- Quel était le rôle des infections non documentées en France pendant l'épidémie ?

- Comment les individus et les décideurs politiques s'adaptent-ils et apprennent-ils pendant une crise ?

 

Epidémiologie : quelle est la valeur ajoutée de l'économie dans ce domaine ?

 

Il existe une longue histoire de quarantaines visant à prévenir la propagation des maladies, qui remonte au moins aux épidémies de peste en Europe et en Asie au Moyen Âge ; des quarantaines ont également été utilisées en Bretagne en 1954 lors de l'épidémie de variole ou de manière sélective lors de l'épidémie d'Ebola en 2014. Il existe également une abondante littérature évaluant l'effet des rappels de santé publique sur la prévention et le traitement. Cependant, les politiques de dépistage massif ont été beaucoup moins analysées. Curieusement, la combinaison optimale de stratégies de dépistage, de rappels et de confinement a également été beaucoup moins examinée.

 

Dans les sociétés européennes, il était probablement difficile d'appliquer des mesures totalement contraignantes ou des procédures de suivi sans expérience et préparation. Les gens font des compromis en fonction du risque d'infection, du risque de décès, de leur environnement et du coût de confinement  chez eux. Lors de l'épidémie de Covid-19, on a observé de l'incivilité et de la désobéissance, ce qui a obligé les autorités à imposer des amendes. Cet exemple suggère que, premièrement, l'incertitude était grande pour prendre des décisions optimales et, deuxièmement, les externalités n'ont pas été pleinement prises en compte par les individus.

 

De nombreux experts affirment également qu'un suivi, une surveillance et des tests pourraient être beaucoup plus rentables que le confinement. Bien qu'il soit clair que nous ayons besoin de plus de tests et de surveillance, le moment optimal et la combinaison des efforts de confinement, de tests et de communication publique sont loin d'être compris.

 

L'épidémiologie économique est un domaine à l'intersection de l'épidémiologie et de l'économie qui intègre les incitations à un comportement sain et les réponses comportementales qui en découlent dans un contexte épidémiologique afin de mieux comprendre comment les maladies sont transmises et pourraient être contrôlées. L'épidémiologie économique prend en compte les externalités. Une externalité est un terme économique désignant un coût ou un avantage encouru ou reçu par une tierce partie. L'inclusion des compromis individuels, de l'apprentissage et des externalités dans l'incertitude est donc l'une des principales valeurs ajoutées de l'économie dans ce domaine de recherche.

 

La littérature en épidémiologie a développé des modèles de diffusion des maladies remontant à Kermack et McKendrick en 1927. Cependant, les travaux en épidémiologie fournissent peu de preuves théoriques et fondées sur des données concernant le rapport coût-efficacité des politiques visant à réduire les taux de contact avec la population ou à mieux détecter les cas asymptomatiques. Il est particulièrement important, du point de vue des décideurs politiques, de mettre en œuvre une approche globale qui tienne compte des coûts sociaux et économiques afin de contribuer à ralentir la transmission de Covid-19 et à aplatir la courbe.

 

L'analyse économique peut également contribuer à la compréhension de l'épidémie de Covid-19 en mettant l'accent sur l'incertitude et le risque. En effet, l'incertitude et le risque moral sont essentiels pour comprendre comment les épidémies se propagent et en particulier dans le cas d'une nouvelle flambée épidémique. En 1921, Keynes affirme que la plupart des individus choisiraient un traitement qui a été largement utilisé dans le passé et dont la probabilité de succès est bien connue, plutôt qu'un nouveau traitement pour lequel il existe peu d'informations sur sa probabilité de succès. Il n'est donc pas acquis que l'introduction d'un nouveau traitement, tel qu'un nouveau vaccin - ou toute mesure non obligatoire - sera utilisée par la population lors de nouvelles épidémies, ou que les individus pourraient adopter un comportement plus risqué même en présence de bons mécanismes d'assurance.

 

Un modèle de comportement individuel face à l'incertitude véhiculée par la nouvelle épidémie sera construit. L'aspect clé, outre la modélisation de la propagation de la maladie, est le rôle des croyances, de l'incertitude et de l'apprentissage qui déterminent les comportements sanitaires et économiques. Ces éléments ont à leur tour une incidence sur la propagation de la maladie.

 

Pour en savoir plus : 

- Lire le projet  ECOVID-19 dans son intégralité (en anglais)

Contacts : 

Raouf Boucekkine (AMU/AMSE) 

- Josselin Thuilliez (CNRS/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) 

- Jérôme Adda (Université de Bocconi) 

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